Après une première attaque d’un monastère sur Rathlin Island en 795, suivie de tant d’autres comme l’île d’Inishmurray en 807, des bandes de Vikings d’origine exclusivement Norvégienne, probablement venant de clans indépendants, vont piller les sites isolés et les îles du littoral Irlandais. Ces attaques sporadiques visaient d’abord l’or, les bijoux et le bétail, les envahisseurs réalisant rapidement que des butins bien plus importants pouvaient être obtenus en confisquant les reliques religieuses et les femmes à des fins de rançon. Ils en apprenaient à chaque fois un peu plus sur le pays, ses dangers et ses trésors, et rapportaient au pays des promesses de butins toujours plus alléchants. L’Irlande, fragmentée politiquement, riche en monastéres (encore intacts!) et très largement moins bien défendue que les territoires Francs ou Anglo-Saxons devient vite une cible tentante pour des opérations plus ambitieuses et plus organisées.

De fait, en 839, un premier chef norvégien d’envergure nommé THORGILS (Turgeis en Gaëlique), fait son apparition au nord de l’Irlande. Armé d’une flotte de 120 bateaux (soit environ 4000 hommes), assez importante pour être surnommée « la flotte royale » par les chroniqueurs Irlandais, il vient non seulement piller, mais surtout il rève s’installer et régner sur le premier royaume Norrois hors de Scandinavie.

Il commence par s’enfoncer dans les terres pour dévaster le centre religieux d’Armagh, l’équivalent Irlandais de Jérusalem en quelque sorte, car choisi par St Patrick comme centre religieux officiel de l’Irlande. THORGILS apparemment mène lui-même l’attaque, tuant moines et étudiants, éventrant les reliquaires et allant jusqu’à profaner la cathédrale St Patrick en performant un sacrifice à Odin sur son autel partiellement brisé. Ce genre de comportement déclencha un tel tollé que le scandinave fut identifié au serviteur de Satan et sa mort souhaitée à n’importe quel prix.

Ce noble objectif ne fut pas facilement atteint, car THORGILS n’était pas comme les autres, uniquement intéressé par le pillage et l’occasionnel viol. Utilisant les fonds collectés à Armagh pour asseoir son autorité, il se proclama Roi des Etrangers d’Irlande et commença à lever des impôts sur la population locale. Cherchant un endroit approprié pour passer l’hiver pendant que ses hommes s’occupent efficacement de la résistance plus ou moins organisée des roitelets locaux, THORGILS s’établit dans une zone surnommée « les mares noires », ou Dubh-Linn en gaêlique, qui devient le l’embryon du premier veritable état Viking hors de Scandinavie, près de 100 ans avant l’établissement du Duché de Normandie en France.

Depuis son fort, construit à l’emplacement de l’actuel château de Dublin, il conduit soixante bateaux vers l’intérieur des terres et pille divers monastères et abbayes, dont Clonmacnoise, célèbre en Europe pour ses séminaires. Une fois les restes sanguinolants débarassés de l’autel eventré, sa femme Ota, connue comme une prophétesse, y effectue un sacrifice rituel à Odin. Ce faisant, il envoie un signal fort à tous que les seuls Dieux méritant attention sont les dieux Normands, incitant pour leur propre salut les croyants terrorisés à la conversion et à rejoindre les forces des hommes du Nord pour continuer les pillages, ce que beaucoup font avec empressement.

Par la suite, THORGILS installe des centres d’opérations à l’intérieur des terres, construisant l’un de ses principaux forts sur les rives du Lough Ree pour étendre son emprise sur la rivière Shannon, au nord d’Athlone. Un autre site majeur est celui de Lyndwachill, sur le Lough Neagh ; d’autres forts s’éparpillent vers le sud-ouest du Lough Lene. THORGILS construira enfin un imposant fort sur la principale île de ce même lac, dominant les terres du Leinster.

En moins d’un an, Thorgils domine tout le nord de l’Irlande et établit des bases fortifiées qui vont devenir les principales villes du pays. En 845, les Irlandais qui résistent encore, bien que toujours trop désunis, le capturent à la suite d’une trahison et le noient dans le lac Owel (une légende donne une autre version des faits: THORGILS fut attiré par une belle princesse irlandaise dans un îlot du lac Owel, entourée de ses demoiselles d’honneur qui étaient, en fait, quinze Irlandais costumés en femmes). Quoi qu’il en soit, la mort de THORGILS encouragent des Vikings Danois s’étant entre-temps installés sur place à tenter de prendre le pouvoir sur leurs cousins Norvégiens, et une guerre civile éclate pour le contrôle de Dublin, tuant dans l’œuf le rêve du vigoureux THORGILS : la fondation d’un état Viking unifié en Irlande.

Dans les cinq ans suivant sa fondation, Dublin était devenu un port florissant, centre opérationnel de raids vers l’est et le Sud, et plutôt que d’aller perdre son temps et ses hommes à conquérir les terres intérieures, le successeur de THORGILS, Ivar ‘le désossé’, fils du légendaire Ragnar Lothbrok, se tourne vers l’est et envahira finalement l’Angleterre en 865.

Les Irlandais finiront par repousser les occupants en 902, pour être ré-envahis en 915 par des Vikings installés en Angleterre, pour qui les territoires Francs du Cotentin devenaient trop bien défendus et moins attractifs… Il faudra 100 ans de plus aux Irlandais pour s’en débarrasser définitivement.

inspiré entre autres par « The Sea Wolves: A History of the Vikings » par Lars Brownworth