GREY
Quand on naît vers 980 dans les environs de Luc sur Mer (situé sur la cote Normande juste au nord de Caen), dans une région de forte colonisation Danoise, qu’on s’appelle TURGIS (du vieux Norse Thorgils, « obligé de Thor »), et qu’on nomme son fils Turstin (du vieux Norse Thorsten, « roc de Thor »), qui lui-même nomme son fils Turstin et l’autre Anquetil (nom d’origine Norse, Ásketíll « chaudron des ases ou des dieux »), on est bien tenté de dire: voilà des descendants directs de Vikings!
Et puis quand on creuse, on trouve que le père de TURGIS, baron de Luc et de Graye, né 15 ans après la cessation de la Normandie (région autour de Rouen) à Rollon par le roi de France, est un certain Arnulf de Graye (portant un nom d’origine Germanique, contraction de Arne – Aigle et de Wolf – loup). Les prénoms étaient souvent héréditaires dans des familles venues du nord de l’Europe contrairement à la plupart des noms de famille issus de prénoms germaniques (Bernard, Gérard, Robert, etc.) qui étaient donnés au moment du baptême, sans pour autant être liés à une quelconque origine germanique de la famille. Arnulf de Graye aura hérité de ce prénom en recevant le baptême, (comme Hughes, sire de Tracy), mais ses convictions sont probablement restées fragiles, souhaitant garder en ses enfants et petits enfants la trace dans leurs patronymes des Dieux ancestraux progressivement éradiqués par le Christianisme. Tout delà est d’autant plus probable que la pointe du Cotentin et la côte nord de la Basse-Normandie ont été tellement pillées par les Vikings que ses habitants d’origine avaient à peu près complètement déserté la région.
Jusqu’à présent, tous les TURGIS identifiés au Xème et XIème siècles – familles de Tracy, de Hauteville, ou d’Avranches) sont originaires d’un petit périmètre de la façade ouest du Cotentin, s’étirant vers le nord est à partir d’Avranches, peut-être le berceau de presque tous les Turgis de France). Il est aussi établi que la région de la Normandie cédée à Rollon en 911 par le roi de France pour faire cesser les pillages – situé dans le bassin de la Seine en amont et en aval de Rouen – est restée totalement indépendante de l’ouest de la Normandie et du Cotentin jusqu’à l’unification du Duché, car le Cotentin et l’Avranchin étaient à l’origine rattachés à la Bretagne. Bien qu’aucune preuve n’en soit probablement jamais trouvée, tout ceci suggère une origine Anglo-Danoise (vikings venant du Danemark et du nord-est de l’Angleterre) de ce TURGIS-là, les autres étant plutôt d’origine Iro-Norvégienne (df aussi l’article TURGISIERES sur les racines géographiques du nom TURGIS en France).
Dans le Domesday Book on ne trouve que trois grands domaines dans tout l’Est de l’Angleterre où un Thorgils était lord avant la conquête; près de Grimsby au nord-ouest, de King’s Lynn à l’ouest, et de Canterbury au sud-est (drapeaux bleus, marrons et jaunes sur la carte). Par exemple, Thorgisl ou Turgis du Kent possédait environ 120 foyers, environ 200 personnes, et possédant 4 moulins, une pêcherie (donc des bateaux) et 5 églises.
Au delà de l’opportunité de renforcer les origines géographiques et Viking des Turgis de France, pourquoi s’intéresser plus particulièrement à ce TURGIS-là? Eh bien parce qu’il est l’ancêtre de la prestigieuse et prolifique famille Anglaise de Grey. TURGIS, fils d’Arnulf, aura donc deux enfants, Hugues FitzTurgis de Graye (1003 – >1086) et Turstin de Grai. Hugues aura deux fils, Turstin (1035 – >1096), et Anschitill (Anquetil) de Gray (c. 1045 – >1086), compagnon de Guillaume le Conquérant (à côté de Turgis de Tracy), dont les descendants anglais seront prestigieux, surtout à partir d’Henri de Grey, qui fut très en faveur auprès de Richard Ier (Coeur de Lion), qui lui donna, en 1194, la baronnie de Turrock, dans le comté d’Essex. D’après le Domesday Book, Anquetil se verra confier la baronie de Redrefield (Rotherfield Grey), dans le territoire contrôlé par William Fitz Osberne, qui commanda l’aile droite de l’armée de Guillaume à la bataille de Hastings.
La famille Grey a joué un rôle fascinant dans l’histoire de l’Angleterre à travers des dizaines de barons, comtes, ducs, et deux reines déchues : Elizabeth Woodville, reine d’Edward IV, mère des Princes de la Tour et arrière grand-mère d’Elizabeth Ière et l’autre Lady Jane Grey, qui fut reine pendant 10 jours à l’age de 15 ans, avant d’être accusée de trahison, jetée dans la Tour de Londres et finalement décapitée le 12.02.1554!
Charles Grey ( – ), 1er comte Grey, fut l’un des plus grands généraux britanniques du xviiie siècle. Son fils, le deuxième comte de Grey, aurait rapporté une recette de thé à la bergamote d’un voyage diplomatique en Chine et l’aurait offerte à la maison de thé Jacksons of Piccadilly, qui aurait donné le nom d’Earl Grey au nouveau mélange en guise de remerciement.
Un TURGIS de Grey, né 1137 à Rotherfield est mentionné dans de nombreuses généalogies, montrant la persistence du prénom plus de 150 ans après le patriarche fondateur. La famille française de Grey est beaucoup moins étendue que celle d’Angleterre ; elle paraît s’être éteinte vers la fin du XIIIe siècle. Aucun autre membre de cette famille n’a pris le prénom ou le nom TURGIS.